Chute des cryptomonnaies : que s’est-il passé sur les marchés ?
Comment la chute des cryptomonnaies a débuté ?
Bref rappel de la situation. Les deux principales cryptomonnaies mondiales en termes de capitalisation, le Bitcoin (BTC) et l’Ethereum (ETH) ont perdu plus de 50% de leur valeur depuis le début de l’année, un chiffre qui s’élève à 57% pour le Bitcoin si on prend comme référentiel novembre 2021.
La semaine du 9 mai a même entraîné la reine des cryptomonnaies sous la barre symbolique des 30.000 dollars, entraînant tout le marché dans sa chute, Ethereum et stablecoins avec elle. Une dégringolade qui s’est même apparentée à une vraie descente aux enfers pour LUNA, la monnaie numérique décentralisée créée par le réseau Terra s’étant effondrée de plus de 99%.
Dans un ultime effort, la Luna Foundation, garante de la réserve Bitcoins de Terra, a indiqué lundi 16 mai dans un tweet comment elle avait tenté de maintenir l’ancrage du stablecoin TerraUSD (UST). Elle s’est ainsi séparée, prise de panique et à court d’autres solutions, de plus de 80.000 BTC dès que la crise s’est manifestée sur l’écosystème de Terra. Une vente massive qui a potentiellement impacté le cours du BTC ces derniers jours, ajoutant ainsi de l’incertitude à l’incertitude.
Au final, celle qui était dans le TOP 10 des cryptomonnaies mondiales a aujourd’hui une valeur quasi nulle. Pas terrible pour une devise qui est censée être stable.
Une situation macroéconomique tendue
Comment expliquer ce « bear market » (On parle de « bear market » lorsque le prix des valeurs cotées descend de plus de 20% sur une période continue) ? L’ambiance défaitiste qui règne sur les marchés aujourd’hui est une combinaison de plusieurs facteurs :
- La chute des valeurs technologiques. Jeudi 5 mai, les indices boursiers de Wall Street ont dévalé la pente, avec un Nasdaq en chute de 4,99% à la clôture. Un « tech wreck » (naufrage technologique), comme l’a surnommé la presse américaine. Cela n’est pas sans conséquence sur les cryptomonnaies et surtout le Bitcoin, celui-ci étant supposé avoir une forte corrélation de marché avec le Nasdaq (nous y reviendrons plus tard.)
- Le spectre de la stagflation. La hausse de l’inflation aux Etats-Unis et en Europe donne des sueurs froides aux banques centrales. Mais c’est surtout la menace d’une stagflation (mélange de croissance anémique et de hausse des prix) qui inquiète les marchés, puisque ce scénario, absent du paysage économique depuis des décennies, n’est plus totalement exclu.
- La question géopolitique. La guerre en Ukraine, les tensions sur le marché du pétrole, la remontée des taux de la Réserve fédérale américaine (Fed) et la reprise épidémique qui risque de paralyser la Chine ont contribué à faire chuter les valeurs technologiques, et par ricochet les cryptomonnaies.
- Chute de Coinbase. La publication mardi 10 mai de résultats financiers en baisse au T1 2022 a mis là aussi de l’huile sur le feu à un marché baissier qui n’en avait pas vraiment besoin.
Un cocktail de mauvaises nouvelles explosif qui a semé un vent de panique et poussé les investisseurs à vendre en masse leurs positions, dans un mouvement de type « tous à l’abri. »
La terrible chute de l’écosystème Terra
Et surtout, il y aura eu l’effondrement en seulement quelques jours du stablecoin TerraUSD, point d’orgue d’une semaine catastrophique du côté des cryptos. TerraUSD (UST), stablecoin décentralisé et algorithmique garanti par le LUNA, a ainsi perdu sa parité avec le dollar, passant de 118 dollars le 4 avril à moins de 0,1 dollars le 13 mai 2022. Un krach qui restera dans les annales !
Or un stablecoin ne devrait pas, sur le principe, s’effondrer. Il existe deux grands types de stablecoins, ceux garantis par leur équivalent sous forme de devise traditionnelle, et ceux dits algorithmiques, qui reposent sur l’ingénierie financière pour maintenir leur lien avec le dollar. L’UST est de ceux-là, lié par un algorithme à Luna. Néanmoins, la situation de forte volatilité sur les marchés a poussé certains investisseurs à vendre massivement à découvert leurs actions, faisant littéralement aller en « tilt » l’algorithme, qui devait en priorité garder le taux de change équilibré.
Des suspicions de manipulation du marché ont même été avancées. Un temps accusés d’être impliqués dans le naufrage de l’écosystème Terra, les géants financiers BlackRock et Citadel ont publiquement démenti toute responsabilité.
Pour Jonathan Hersovici, Président et Co-fondateur de StackinSat, la situation démontre la complexité de certains stablecoins algorithmiques. « Le white paper du Bitcoin fait 8 pages, n’importe qui peut comprendre ce qu’il y a derrière, alors que sur certaines cryptomonnaies ou des stablecoins, c’est complexe et les promesses de rendement ne sont pas tenues. »
La situation extrêmement tendue du côté de la blockchain Terra et l’effondrement de l’UST permettront néanmoins, toujours selon Jonathan Hersovici, « d’épurer le marché des stablecoins. » Un stablecoin est censé être stable mais cette crise récente a prouvé qu’au final il ne l’est pas, « Il faut savoir où l’on investit, comme disait Warren Buffet. Tous ces systèmes très sophistiqués qui proposent des rendements énormes sont des usines à gaz, alors qu’un bitcoin sera toujours égal à un bitcoin », poursuit-il.
Cryptomonnaies et Nasdaq, même combat ?
Un regard rapide sur la situation des dernières semaines va dans le sens de ce qui semble être une corrélation (une corrélation signifie que deux actifs ont tendance à évoluer de manière synchrone) entre le marché des cryptomonnaies et les valeurs technologiques. Entre le Bitcoin et le Nasdaq, le coefficient de corrélation a fortement progressé depuis 2020, pour pratiquement atteindre 0,80 depuis le début de l’année.
Bien que la cryptomonnaie mère ait ses propres fondamentaux, les entreprises issues de la finance classique sont de plus en plus liées au Bitcoin aujourd’hui, le marché des cryptomonnaies étant désormais dominé par les institutionnels en termes de volumes d’échange.
Alors, cette corrélation est-elle amenée à durer ? Pour la banque Morgan Stanley, ceci est probable, l’institution ayant indiqué que « la corrélation entre le Bitcoin et les indices boursiers est restée élevée et continuera de l’être, à moins que le Bitcoin ne devienne largement utilisé comme moyen de paiement – ce qui semble peu probable dans un avenir proche. »
Des marchés encore soumis à une forte tension
La blockchain Terra est actuellement en état de quasi-mort cérébrale. Son créateur, Do Kwon, est timidement sorti de son silence ces derniers jours pour proposer un plan afin de relancer l’écosystème, mais la communauté se déchire actuellement sur la solution à apporter. Do Kwon a par ailleurs admis que l’UST, dont la valeur avoisine les 0,00005 dollar à l’heure où nous écrivons ces lignes, n’avait plus la confiance des investisseurs. Or la confiance est le nerf de la guerre en matière d’investissement.
Du côté des autres cryptos, la situation semble s’être quelque peu stabilisée depuis lundi 16 mai. Le Bitcoin est repassé au-dessus des 30.000 dollars, à 30.451 dollars, et l’Ethereum résiste lui aussi, à 2.089 dollars. Néanmoins, la pente est encore bien raide et d’après certains spécialistes, l’accalmie pourrait être de courte durée. Interrogé par Reuters, Scottie Siu, directeur des investissements d’Axion Global Asset Management, a ainsi indiqué qu’il ne « pense pas que le pire soit passé. »
La chute des cryptomonnaies amenée à durer ?
Le marché des cryptomonnaies est-il soumis à une correction passagère ou sommes-nous déjà en plein bear market ? Ce second scénario, s’il semble être plus que probable, ne sera confirmé que si la tendance baissière et la forte volatilité se maintiennent encore plusieurs semaines, voire mois. Il pourra y avoir des rebonds bien entendu, mais une nouvelle chute jusqu’à un prochain « bottom » (niveau bas) n’est pas exclue, celle-ci pouvant intervenir mi-2023, voire en fin d’année prochaine. Les prochaines semaines seront à suivre avec une attention renforcée.
Le climat d’incertitude (hausse de l’inflation, guerre en Ukraine, remontée des taux directeurs), tiendra dans tous les cas sous tension les marchés actions classiques mais aussi la planète crypto. Il faut donc adopter une attitude prudente. Ajoutons que ces crises font toujours des victimes. L’UST en est une, mais il pourrait y en avoir d’autres derrière. Les projets les moins solides seront sans doute les prochaines victimes si le bear market venait à se confirmer.
Certains pourraient aussi profiter de cette tendance baissière pour renforcer leurs positions sur certaines cryptos. Dans un marché soumis à une forte volatilité, il semble préférable de rentrer par pallier en mode DCA (Dollar Cost Averaging) sur les actifs les plus solides. On pense bien sûr aux deux cryptomonnaies reines, le Bitcoin et l’Ethereum, qui représentent à eux seuls 60% du marché des cryptomonnaies, l’histoire ayant prouvé jusqu’à aujourd’hui leur résilience dans une optique d’investissement à long terme.