L’or bleu : pourquoi votre verre d’eau vaut plus que vous ne le pensez ?
La Terre est composée à plus de 72% d’eau en surface, ce qui représente plus de 1,4 milliards de km3 d’eau en termes de volume. Caractérisant notre planète bleue, cette ressource omniprésente est essentielle à l’humain, conditionnant sa survie.
Parler d’eau, c’est donc évoquer un sujet sanitaire majeur. Toutefois, les eaux salées de la mer du Nord ou vaseuses des marécages de la Nouvelle-Orléans vous emportent rapidement dans un cycle de maladies. Ainsi, l’eau dans son état initial est la plupart du temps insalubre et imbuvable. Un écosystème a donc dû se constituer autour de l’or bleu afin que puisse être extraite, traitée, stockée puis acheminée cette ressource incontournable.
Les enjeux mondiaux de l’eau
L’eau douce est au cœur de réflexion en matière de gestion et de distribution en raison d’enjeux environnementaux, sanitaires et diplomatiques. A titre d’illustration d’une concentration d’inquiétudes autour du sujet de l’eau, en 2020, l’Éthiopie essuie une cyberattaque égyptienne s’immisçant dans les systèmes d’approvisionnement en eau du pays. La raison de cette offensive : la crise diplomatique entre les trois nations éthiopienne, égyptienne et soudanaise autour du barrage hydroélectrique de la Renaissance. Au-delà de l’acte nécessaire d’hydratation, elle est indispensable aux activités agricoles. L’accès à l’eau potable et l’assainissement sont donc des défis majeurs de santé publique. En 2020, l’OMS estimait que 2,2 milliards de personnes n’avaient pas accès à des services d’eau potable gérés de manière sûre et 4,2 milliards n’avaient pas accès à des services d’assainissement adéquats. Ces dissensions diplomatiques et ces inégalités mondiales illustrent la délicatesse du sujet de l’eau.
Ce mouvement de raréfaction de l’eau et de restructuration de la filière au niveau mondial soulèvent des enjeux économiques et financiers auxquels il convient de s’intéresser. Alors, plongeons au cœur des raisons pour lesquelles vous devriez sauter dans le grand bain du marché de l’eau.
Comme un poisson dans le marché de l’eau
Le marché de l’eau se segmente en deux secteurs principaux : la production et la distribution de l’eau potable, ainsi que le traitement des eaux usées. Selon l’Insee, le premier secteur a connu une croissance modérée ces dernières années, affichant des taux compris entre 0,3% et 2,9%. Cependant, en 2023, une augmentation notable de 5% du chiffre d’affaires global a été enregistrée. Le second secteur a présenté des variations plus marquées, oscillant entre -1,6% et 8,4% entre 2019 et 2022, avec une croissance significative de 14% en 2023. La principale cause de cette augmentation sur ces deux branches est l’augmentation tarifaire opérée par les collectivités et les entreprises en raison de l’inflation. Les prévisions indiquent toutefois un ralentissement avec une perspective de croissance modérée.
En matière d’acteurs, la France exerce une influence forte sur ce marché. Le parangon de cette domination est la société Veolia, fondée en 1853 par décret de Napoléon III et anciennement nommée Compagnie Générale des Eaux. L’acquisition d’une partie de Suez par une offre publique d’achat (OPA) a permis de renforcer sa position, ce dont témoigne le chiffre d’affaires de 2022 (nous sommes toujours en attente des résultats de 2023) pour la section Eau de l’entreprise, autour des 18 milliards d’euros. Au niveau mondial, la France tient le haut du panier avec Veolia en tête, devant la Fomento de Construcciones y Contratas espagnole, qui a généré sur ses services liés à la production, au traitement et à la distribution de l’eau plus de 7 milliards d’euros en 2022. Suit la société brésilienne Sabesp, dont le cours est en augmentation de 5% sur le dernier mois. Puis vient American Water, la société de services publics américaine qui pour sa part perd 2,4 points sur la même période, avec une action à 118,96 USD en fin de séance vendredi. La cinquième place est également pour une entreprise française, Suez continuant de jouer dans la cour des grands avec plus de 3,2 milliards de chiffre d’affaires.
Le modèle d’affaires dominant de ces sociétés repose sur la concession, où les pouvoirs publics engagent des entreprises privées pour prendre en charge les coûts en échange de paiements des signataires ou de redevances des usagers. Ces contrats à long terme assurent une stabilité financière aux entreprises du secteur.
Un gallon économique, rempli d’enjeux protéiformes
En 2020, le marché mondial de l’eau pesait 600 milliards d’euros, chiffre qui a pris en grade sur les dernières années, tiré par la hausse tarifaire des collectivités. Cependant, des défis majeurs entravent les acteurs de ce secteur vital. L’eau requiert une attention particulière pour garantir sa qualité lors du traitement.
Outre la qualité, l’accessibilité constitue un enjeu crucial, avec plus de 700 millions de personnes, soit près de 10% de la population mondiale, privées d’accès à l’eau potable en 2022, selon l’OMS. L’accès dépend de la richesse nationale et de la stabilité gouvernementale, éléments clés pour assurer une distribution viable.
À cet enjeu sanitaire s’ajoute l’enjeu environnemental, qui impose une consommation raisonnable de l’eau par les particuliers ainsi que par les entreprises. D’autre part, l’aspect environnemental recoupe la gestion des déchets qui est essentielle afin de préserver une eau potable. En ce sens, des sociétés telles que Xylem opèrent.
Enfin, l’eau catalyse les tensions géopolitiques et diplomatiques dans plusieurs régions comme l’Asie du Sud, l’Amérique du Sud et le Moyen-Orient, s’imposant comme un enjeu majeur des décennies à venir en matière de gouvernance, principalement en raison de la raréfaction de la ressource.
Quand l’argent coule à flot : l’enjeu de la titrisation du marché de l’eau
La rareté d’une ressource est vectrice d’opportunités pour les esprits financiers de notre monde. Dans la continuité du phénomène de financiarisation de la nature qui a vu apparaître les banques de compensation, l’eau n’échappe pas à une titrisation. La titrisation est un phénomène financier de transformation d’un bien ou d’un service en un titre, échangeable en bourse. Ainsi, le volet financier vient impacter la valeur ou la perception du bien ou du service, ouvrant la porte à des comportements spéculatifs. Une image de cette titrisation est l’ouverture d’un marché à terme de l’eau en Californie en décembre 2020 par le NASDAQ et le CME. Néanmoins, cette démarche fait débat, alors que l’eau est considérée à juste titre par beaucoup comme un bien commun qui ne devrait pas être à l’origine d’une recherche de profit.
Comment suivre le fil de l’eau ?
Ce panorama étant dressé, comment ne pas rester en surface et s’intéresser en profondeur à ce sujet passionnant qu’est l’eau ?
D’une part, des indices boursiers existent afin de suivre l’activité d’entreprises du secteur de l’eau. C’est le cas du S&P Global Waters, qui gagne 6,69% sur un an au 23 février 2024, et qui correspond à l’agrégation du volume d’affaires de 100 entreprises provenant du monde entier et dont l’activité est intimement liée à l’eau.
D’autre part, il existe plusieurs ETF (Exchange Traded Fund), les fameux trackers qui permettent de suivre le cours d’une ou de plusieurs actions. La société de gestion Amundi propose un ETF Eau (MSCI Water) disponible sur un plan épargne action (PEA). Toutefois sa composition est critiquable, cette limite pouvant être contournée par l’investissement dans l’iShares Global Water UCITS, intégrant davantage des sociétés situées sur le segment du traitement de l’eau. Cet investissement pourra être réalisé via un compte titre ordinaire (CTO), présentant l’avantage d’intégrer des sociétés provenant de différentes aires géographiques.
Au-delà de ces solutions, il existe un organisme de placement collectif en valeurs mobilières (OPCVM) Pictet-Water qui propose un investissement sur un véhicule financier composé d’actifs américains (Xylem, American Water…) et canadiens à hauteur de 79,96%.
Enfin, suivre le cours des leaders du marché de l’eau comme Veolia, Suez ou encore Xylem est également un moyen de s’informer sur les tendances en cours, en prenant en compte une perspective long terme. Un point d’orgue doit néanmoins être mis sur le fait de se concentrer sur les filiales dédiées à l’eau dans des sociétés qui ont des activités plurielles.