Marché des semi-conducteurs : Intel au bord de l’implosion
Intel est reconnu comme un précurseur dans l’évolution technologique de la Silicon Valley californienne et un fabricant leader de processeurs et de puces graphiques qui a rendu possible la construction d’ordinateurs, d’ordinateurs portables et de smartphones. La société a résisté au détournement de la production de semi-conducteurs vers l’Asie pendant de nombreuses années et a été considérée comme le fabricant américain phare de semi-conducteurs.
Ces semi-conducteurs, utilisés à grande échelle dans la fabrication de presque tous les appareils, sont pour le marché de la technologie l’équivalent du pétrole pour le marché automobile ou de l’uranium pour le marché des centrales nucléaires. Ils sont irremplaçables et indispensables, et aujourd’hui ils sont l’épicentre des conflits pour les deux plus grandes économies du monde.
Le marché des puces risque-t-il d’imploser ?
Les problèmes liés à la production de semi-conducteurs ont été annoncés suite à la pandémie, lorsque les fabricants de puces ont réduit leur capacité de production à cause des confinements et du ralentissement de la consommation. Après cela, les fabricants n’ont pas été en mesure de répondre à l’augmentation de la demande, causée, entre autres, par la tendance du travail à distance, la popularité du divertissement “virtuel”, les politiques fiscales imprudentes des gouvernements mais également les importantes réserves de fonds non dépensés par les consommateurs pendant la pandémie. Les constructeurs automobiles ont commencé à signaler l’allongement des délais des semi-conducteurs en raison de la précédente politique de commande «just in time» visant à réduire la création de réserves inutiles.
Par ailleurs, le marché a été frappé par une vague d’incendies dans des infrastructures clés. Parmi les infrastructures frappées par les flammes, figuraient l’usine d’ASL, produisant des puces en technologie 3 nm et 5 nm près de Berlin, l’usine japonaise de Nittobo, fournissant de la fibre de verre pour les processeurs, l’usine de capteurs d’Asahi Kasei Microdevices et aussi l’usine japonaise de Renaissance Electronics Corp. qui était l’un des plus grands producteurs mondiaux de microprocesseurs pour l’industrie automobile. Tout cela s’est traduit par des pénuries, des temps d’arrêt et des délais de livraison prolongés. En 2022, les difficultés rencontrées par ce secteur se sont poursuivies lorsque la Chine a mis en place une succession de confinements dans l’Empire du Milieu.
Un conflit entre la Chine et les États-Unis à propos de Taïwan, au cours de laquelle les infrastructures de l’île seraient détruites, entraînerait une implosion du marché des semi-conducteurs dont les entreprises technologiques occidentales comme Intel, AMD mais aussi les acheteurs de puces comme Apple et Tesla subiraient les conséquences (puisque la Chine est déjà pratiquement déconnectée des chaînes d’approvisionnement de Taïwan). Le Pentagone a évoqué à plusieurs reprises la probabilité d’un tel conflit. Récemment, c’est le directeur de la CIA, William J.Burns, qui a souligné que l’appétit chinois pour l’assujettissement de Taiwan augmentera à mesure que la décennie actuelle progresse. Le marché boursier évalue aujourd’hui un avenir pessimiste pour les fabricants de puces. Avec la récession mondiale et les frictions géopolitiques entre Pékin et Washington, l’effondrement semble plus probable aujourd’hui que jamais. Les États-Unis, cependant, ne sont clairement pas prêts à lâcher prise et pointent vers une coopération accrue et une plus grande présence sur l’île.
Les États-Unis ont réalisé trop tard qu’ils avaient plus que jamais besoin d’une production nationale de semi-conducteurs, car Taïwan reste un pays incertain d’un point de vue géopolitique. La mondialisation avancée des dernières décennies a permis aux Américains de faire abstraction de ces risques.
Confrontés à une pénurie de puces pour la navigation, les moteurs et l’électronique, les constructeurs automobiles risquent de perdre environ 20 milliards de dollars cette année. Selon les analystes de la Deutsche Bank, la « guerre froide technologique » mondiale coûtera au monde plus de 3500 milliards de dollars au cours des cinq prochaines années seulement. Cela pourrait également impliquer une baisse allant jusqu’à 4% du PIB d’économies telles que la Chine, la Corée du Sud et les pays de l’Union européenne. Permettre à la Chine de contrôler Taïwan confirmerait la domination et le monopole chinois sur le marché des semi-conducteurs, ce qui signifierait en pratique un puissant levier chinois sur l’économie mondiale et les entreprises technologiques américaines. L’infrastructure industrielle du marché taïwanais de la fabrication de précision est si puissante qu’il devrait probablement attendre plus d’une décennie pour reproduire ses capacités.
Le marché des semi-conducteurs connaît un ralentissement massif face à une éventuelle récession mondiale qui, accompagnée d’une inflation élevée, de taux d’intérêt et de coûts de production en hausse, pourrait annoncer la destruction de la demande de nouvelles technologies.
Pourquoi cibler Taïwan ?
Entreprise taïwanaise, Taiwan Semiconductors est responsable d’environ 65 % de la production mondiale totale de semi-conducteurs et de 90 % de la production de leurs modèles de dernière génération. Près de 60 % des revenus mondiaux des semi-conducteurs sont consolidés à Taïwan. Avec la capacité de faire évoluer la production de puces vers 5 nm voire plus petites, Taïwan s’est avéré être un lieu de pèlerinage pour les géants de la technologie. En raison de la tendance à insérer des semi-conducteurs dans les puces les plus petites et les plus efficaces possibles et de l’accès à une main-d’œuvre taïwanaise moins chère et efficace, les entreprises américaines ont été désireuses de réorienter la production en se concentrant sur la conception et la propriété intellectuelle. C’est en partie grâce à la fabrication bon marché à Taïwan que des géants comme Intel, AMD et Apple ont pu réaliser des marges plus élevées sur les ventes de leurs produits.
En raison de sa capacité de fabrication massive, Taïwan est devenu l’épicentre mondial des frictions géopolitiques. Le marché des semi-conducteurs présente des barrières à l’entrée. Il faut jusqu’à 2 ans pour construire une usine de semi-conducteurs (avec les pénuries actuelles, cela pourrait prendre plus de temps), et en raison des coûts énormes et de la coordination des chaînes d’approvisionnement, le coût de l’investissement n’est pas récupéré avant 5 ans. La Chine considère Taïwan comme faisant partie intégrante de son propre territoire, ce qui cause de nouveaux problèmes dans les chaînes d’approvisionnement et menace de fermer le détroit de Taïwan, la route de fret la plus fréquentée au monde. Ainsi, l’Empire du Milieu freine la mondialisation et nuit grandement au modèle commercial d’entreprises comme Intel et AMD.
Actuellement, la production chinoise de semi-conducteurs ne représente que 5 % de la demande mondiale avec des produits qui imitent encore maladroitement la technologie occidentale. Par exemple, les fabricants de l’Union européenne détiennent toujours une part deux fois plus élevée que la Chine sur le marché mondial des puces. L’Empire du Milieu, cependant, ne veut pas accepter docilement sa position de dépendance. En 2020, la Chine a dépensé 350 milliards de dollars en importations de semi-conducteurs, un montant supérieur aux dépenses en importations de pétrole. Les Chinois travaillent sur une méthode alternative de production de puces de troisième génération en mélangeant du nitrure de gallium avec du carbure de silicium, ce qui pourrait potentiellement impliquer une mise à l’échelle de la production et des performances plus poussées. D’ici 2025, les dépenses chinoises en avancées technologiques pourraient atteindre 1 500 milliards de dollars, la part du lion allant au marché des semi-conducteurs. D’ici 2025, la Chine prévoit également d’augmenter suffisamment sa production nationale pour couvrir entièrement ses propres besoins.
Pendant ce temps, Taïwan a reconnu qu’en raison des frictions géopolitiques, des «goulots d’étranglement» dans les chaînes d’approvisionnement et des projets de certains pays de mise à l’échelle de sa propre capacité de production, son monopole pourrait perdurer. L’Union européenne, qui vise à détenir 20 % du marché mondial des puces d’ici 2030, a également décidé d’étendre sa capacité de production de semi-conducteurs. Par conséquent, les Taïwanais, défiant la Chine voisine, prévoient de consolider la production au niveau national en encourageant les talents à l’immigration et en soutenant les entreprises nationales qui développent des technologies permettant d’augmenter la production.
Cependant, le PDG de TSMC, Mark Liu, a souligné par le passé que Taïwan n’était toujours pas capable de produire en autonomie et s’appuyait sur des technologies conçues principalement aux États-Unis. Pour Taïwan, bien sûr, la coopération avec les États-Unis a un prix. Sous la pression des Américains pendant la présidence de Donald Trump, TSMC a cédé aux menaces de retirer les contrats américains et d’arrêter les transferts de propriété intellectuelle et a bloqué les exportations de Huawei, perdant des milliards de dollars de bénéfices et un client régulier. Des signaux de contrôle des exportations américaines circulaient déjà en 2015 lorsque les États-Unis ont bloqué les exportations des puces Xeon et Xeon Phi d’Intel vers l’Empire du Milieu. Le coréen Samsung, qui détient 16 % des revenus mondiaux des semi-conducteurs, subit également une pression américaine similaire.
Le dragon chinois ne crache plus de feu ?
Le plus grand importateur de puces taïwanaises à ce jour était, bien sûr, la Chine. Aujourd’hui, les exportations vers la Chine se sont détériorées, et la Chine, en plus de connaitre une profonde crise économique, est menacée d’effondrement technologique. Les usines de puces de l’Empire du Milieu sont capables de produire des puces en technologie 14 nm, ce qui permet de les installer dans les machines à laver, les lave-vaisselle et les voitures mais pas dans les ordinateurs portables ou les smartphones. Dans le même temps, les États-Unis bloquent les importations chinoises en faisant pression sur les fabricants pour qu’ils ne vendent pas de composants à la Chine.
Dans le passé, la Chine a expérimenté la fabrication de puces avancées mais n’a pas eu de succès dans ce domaine. Les grandes entreprises comme SMIC n’ont toujours pas rattrapé les exigences des nouvelles technologies et, selon les analystes, elles ont 5 à 6 ans de retard sur l’industrie de précision taïwanaise. En 2019, les débuts très médiatisés de Hongxin Semiconductor Manufacturing ont ajouté de l’huile sur le feu. La société basée à Wuhan a dépensé près de 20 milliards de dollars en investissements, a reçu des subventions de l’État et s’est engagée à produire 30 000 semi-conducteurs. Cependant, l’entreprise a fait faillite en 2020 sans honorer une seule livraison. La Chine souffre d’un manque de propriété intellectuelle et l’environnement économique actuel n’est pas propice au développement technologique et au libre-échange.
Demande en berne pour les ordinateurs de bureau
Comme si cela ne suffisait pas, les fabricants américains de semi-conducteurs AMD et Intel ont admis que la demande d’ordinateurs de bureau se détériorait. Le problème est que le taux de décélération de la demande est plus élevé que ce que les deux sociétés supposaient dans leurs prévisions les plus pessimistes de cet été. L’analyste du marché des semi-conducteurs de Bernstein, Stacy Rasgon, a publié un rapport sur une réunion avec des dirigeants des deux principaux fabricants américains.
Le directeur financier d’Intel, David Zinsner, a indiqué que la demande d’ordinateurs s’était détériorée encore plus que ne l’indiquaient les estimations, qui prévoyaient une baisse de 10 % en glissement annuel. C’est précisément cette prévision faite au cours de la saison des résultats de juillet qui a aggravé la baisse des actions. Zinser a souligné que les raisons de l’affaiblissement du marché sont principalement la baisse des ventes en Chine et l’environnement macroéconomique difficile entraînant un ralentissement de la demande de nouvelles technologies. Cependant, le directeur n’a pas été tenté de mettre à jour les prévisions. Rappelons qu’en avril dernier, Intel prévoyait un rebond du marché des ordinateurs de bureau au second semestre. Selon les estimations d’IDC Technologies, les expéditions mondiales de PC ont chuté de 15 %, à partir de 2021.
L’analyste Bernstein a également rencontré Dan McNamara, directeur de la division commerciale d’AMD. McNamara a confirmé à son tour que la demande actuelle de PC est en baisse et que les perspectives de croissance sont encore plus faibles que prévu. AMD a prévu avec optimisme une baisse de 1,5 % de la demande de composants pour ordinateurs personnels l’année dernière. Le directeur du fabricant de puces a révélé que la baisse sera probablement plus importante.
Le succès à tout prix
Malgré les turbulences du marché mondial, Intel a indiqué une date pour la sortie de sa puce de processeur ‘Raptor Lake’ de 13e génération, annoncée depuis près de 2 ans. La présentation aura lieu le 27 septembre, dans le cadre de la conférence « Intel Innovation », qui sera lancée par le PDG de la société, Pat Glesinger. Cependant, le prix des puces de nouvelle génération pourrait être plus élevés de 140 $ (à environ 550 $ selon les estimations), remettant au goût du jour la question de la demande face au ralentissement économique. Avec ce lancement, cependant, Intel a confirmé sa capacité à fournir les unités les plus efficaces sur le plan technologique en surpassant la puissance de la série rivale Ryzen 7000 d’AMD.
Récemment, l’activité d’Intel a également été durement touchée par Apple, qui a abandonné les produits de l’entreprise et a transféré son fournisseur de semi-conducteurs au fabricant britannique ARM, récemment acquis par Apple pour 40 milliards de dollars. La société commence maintenant à concurrencer Apple sur le marché des mini-ordinateurs et a sorti un modèle NUC 12 Enthusiast équipé de ses propres composants à la pointe de la technologie Cependant, cela ne suffira probablement pas à éviter une période de turbulences sur le marché des puces.
La détérioration du marché des ordinateurs de bureau et les problèmes de restrictions à l’exportation vers la Chine, qui a été le plus grand importateur de puces à ce jour, pèsent évidemment sur les actions d’Advanced Micro Devices (AMD.US), Micron Technology (MU.US) et Taiwan Semiconductor (TSMC .NOUS).
Les actions ont mis fin à la tendance haussière pluriannuelle en 2022, et ont cassé la moyenne mobile à 200 semaines en janvier, qui agissait en tant que support depuis plus d’une décennie. Les tests de cette MM200 auront été d’excellents points d’entrée pendant tout ce temps. Cette fois-ci, les vendeurs ont repris le contrôle dans un contexte d’incertitude et de turbulences du marché des semi-conducteurs. L’éventualité d’un conflit dans le détroit de Taiwan et l’entrave à la demande d’appareils ont nui à la rentabilité de l’entreprise.
L’action Intel perd 65% par rapport à ses sommets de 2020. Le RSI s’est retrouvé à des niveaux de survente jamais revisités depuis près de 14 ans. Des baisses d’une telle ampleur ont pu être constatées lors de l’éclatement de la bulle Internet en 2000 et lors de la crise de 2008-2009. Jusqu’à présent, l’entreprise a toujours réussi à sortir indemne de crises majeures, ce qui est indirectement lié à la domination américaine sur le marché des nouvelles technologies. Malgré les conditions économiques difficiles, Intel a annoncé le 16 septembre un dividende trimestriel aux actionnaires de 0,365 $ par action, ce qui se traduira par 1,36 $ sur une base annualisée.
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